Hommage à Edgard PISANI, grand nom de l’histoire grignonaise

Le Collectif pour le Futur du Site de GRIGNON tient à rendre hommage à Edgard PISANI, disparu hier à l’âge de 97 ans. Grand humaniste, grand homme d’Etat, visionnaire et courageux, il était autant attaché à GRIGNON que les défenseurs de GRIGNON le sont à sa mémoire. Le Collectif adresse à ses proches ses très sincères condoléances.

 

Le Collectif pour le Futur du Site de GRIGNON tient à rendre hommage à Edgard PISANI, disparu hier à l’âge de 97 ans.

Ce grand humaniste et grand homme d’Etat, visionnaire et courageux, était autant attaché à GRIGNON que les défenseurs de GRIGNON le sont à sa mémoire.

Au sein d’une riche carrière au service de la FRANCE, Edgard PISANI fut, entre 1961 et 1966, le ministre de l’agriculture du Général de GAULLE, battant ainsi le record de longévité au ministère de la rue de VARENNE.

C’est au cours de cette période que la Ferme de GRIGNON devint un lieu incontournable de l’agriculture française où se déroulèrent de nombreux rassemblements d’agriculteurs du Nord de la France. Parmi eux le 9ème « championnat des labours », qui fut honoré par la présence du Président de la République et de son ministre de l’Agriculture !

Edgard PISANI aimait GRIGNON, cette campagne aux portes de PARIS, où il se rendait en hélicoptère, pour tenir des conseils ministériels « décentralisés », qui se déroulaient dans la salle BESSIERES du château.

Pour mesurer la place majeure occupée par ce grand homme d’Etat dans l’histoire contemporaine de notre pays, on lira avec intérêt le remarquable portrait que lui consacre Patrick ROGER dans Le Monde daté d’aujourd’hui sous le titre « Mort d’Edgard Pisani, résistant et ancien ministre de De Gaulle et de Mitterrand ».

« Avec la disparition d’Edgard Pisani, mort lundi 20 juin, à l’âge de 97 ans, c’est une page d’histoire de la République qui se tourne, un demi-siècle d’action au cœur de l’appareil d’Etat et des institutions. C’est aussi une haute silhouette, un légendaire collier de barbe, une voix puissante, un regard passionné pour l’Europe, l’agriculture, l’Afrique et son développement, et un homme resté libre de sa parole, un brin utopiste. Mais son caractère hautain, ses manières tranchées, ses jugements catégoriques et une carrière dans les marges lui attirèrent de nombreuses inimitiés.

Né le 9 octobre 1918 à Tunis, d’origine maltaise et, donc, né « sujet britannique » – ce qui lui valut de subir une campagne nauséabonde lors de sa nomination comme préfet –, il fut un résistant de la première heure. Il a été proche de Charles de Gaulle jusqu’en 1967 et de François Mitterrand à partir de 1974, deux chefs d’Etat qu’il voyait comme « deux plasticiens ». Le premier, « un Rodin travaillant le marbre à grands coups de ciseau » ; le second « caressant indéfiniment la glaise ».

Gaulliste devenu socialiste, européen et tiers-mondiste convaincu, c’était un homme qui avait une vision du monde et de véritables fulgurances. A la Libération, il annonce que va s’ouvrir la période de la décolonisation. En Nouvelle-Calédonie, lors de la violente crise des années 1980, il propose un concept inédit, qui sera repris par la suite, celui d’indépendance-association. L’agriculture, l’aménagement du territoire, les problèmes Nord-Sud, la question foncière, l’énergie, le commerce extérieur… autant de domaines où il a voulu, selon son expression, « inventer des idées » et « changer le paysage ».

Otage administratif au Mont-Dore

Son arrivée dans le service de l’Etat date de la fin de la seconde guerre mondiale. Quand celle-ci éclate, il est alors étudiant à Sciences Po et exerce une activité de pion. Arrêté à Paris, en mars 1944, avec des parents et des proches de personnalités de la Résistance, il est envoyé en tant qu’otage administratif au Mont-Dore, en Auvergne, mais n’est pas identifié comme membre d’un réseau radio transmettant des informations à Londres. Il a alors 26 ans. Le 7 juin, au lendemain du Débarquement, une attaque sur l’hôtel où les otages sont retenus est organisée par un commando de la Résistance. Ils rejoignent le maquis puis remontent sur Paris, où il arrive le 20 juin.

Il intègre alors un réseau intitulé la Nouvelle Administration publique, destiné à préparer la transition. Le 19 août, il est averti qu’il doit se trouver au matin place du Châtelet. Installé à la terrasse d’une brasserie, il voit des centaines d’hommes, des gardiens de la paix en civil, converger vers la Préfecture de police. Bientôt, le drapeau tricolore flotte sur le bâtiment. Il y file immédiatement et rejoint le cabinet du préfet, où Charles Luizet, gaulliste de la première heure, s’installe dans ses nouvelles fonctions. Convoqué à une réunion du Comité parisien de libération, celui-ci appelle Edgard Pisani : « Edouard [son pseudonyme dans la résistance], je suis obligé de sortir. Vous allez rester là, vous garderez la maison. Il ne se passera rien, je reviens dans un instant. »

Trois réseaux ont alors pris possession de la Préfecture : le Front national, Honneur de la Police, et Police et Patrie. Pendant que les Allemands prennent position autour du bâtiment et commencent à tirer, le téléphone n’arrête pas de sonner : Pisani décroche… et se met à donner des ordres. Dans le film de René Clément Paris brûle-t-il ?, c’est Michel Piccoli qui tient son rôle. Il négocie avec les Allemands l’échange de Français qui vont être fusillés contre des cadavres de soldats allemands. Les appels conseillant aux résistants d’abandonner la partie afin d’éviter un carnage se multiplient. Il accepte une trêve à la tombée de la nuit.

A ce moment, le préfet Charles Luizet peut enfin rentrer dans la Préfecture. A celui qui, pendant ces heures chaudes, a tenu la maison, il propose de devenir son chef de cabinet et il le nomme sous-préfet. L’année suivante, Edgard Pisani passe directeur adjoint du cabinet du Préfet de police et, un an plus tard, devient directeur du cabinet du ministre de l’intérieur. 

Il n’a même pas 28 ans lorsqu’il est nommé pour la première fois à la fonction de préfet, dans la Haute-Loire, puis, un an plus tard, dans la Haute-Marne, avant de devenir membre du Haut Conseil de l’aménagement du territoire.

Sur sa demande, en 1953, il est mis en disponibilité et embrasse une carrière politique. Il obtient sa première élection en 1954 à l’occasion d’une élection sénatoriale partielle dans la Haute-Marne, sous l’étiquette du Rassemblement des gauches républicaines (RGR), qui réunit le Parti radical, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), présidée par un certain François Mitterrand, et diverses petites formations centristes ou de droite. Il est réélu en 1955.

En 1961, de Gaulle l’appelle pour qu’il devienne ministre de l’agriculture dans le gouvernement de Michel Debré. Il conservera cette fonction dans le gouvernement de Georges Pompidou, jusqu’en 1966, établissant un record de longévité à ce poste exposé. Il est l’artisan de la grande mutation du monde agricole pour faire en sorte que l’agriculture française devienne autosuffisante et compétitive. En mettant en place les lois d’orientation agricole, qui modernisera ce secteur, il va redonner confiance à la paysannerie. C’est lui, aussi, qui pilotera les débuts de la politique agricole commune. Il reste une des grandes figures ayant laissé une trace de son passage Rue de Varenne.

En 1966, il devient ministre de l’équipement dans le gouvernement de Georges Pompidou. Il en démissionne en avril 1967 lorsque le premier ministre demande de pouvoir gouverner par ordonnances, procédure à laquelle il est opposé. En mai 1968, la rupture est consommée. La gorge nouée, Edgard Pisani prononce à la tribune de l’Assemblée nationale un véritable réquisitoire contre Georges Pompidou, vote la censure et démissionne de son mandat de député : « Ce faisant, déclare-t-il en s’adressant au premier ministre, j’ai le sentiment d’être plus fidèle que vous à l’homme que j’ai soutenu depuis la Résistance. » Nommé préfet en disponibilité spéciale depuis 1968, il est admis à faire valoir ses droits à la retraite en 1973 et adhère au Parti socialiste en 1974.

La Nouvelle-Calédonie sur le pied de guerre

Il sort alors du tunnel où l’a entraîné sa rébellion contre Pompidou et est réélu sénateur, sous l’étiquette Gauche démocratique, de la Haute-Marne avant de devenir membre de l’Assemblée des communautés européennes en 1979. Mais il n’est pas vraiment un fin stratège politique, n’appartient à aucun courant. Lui, persuadé que François Mitterrand ne se représentera pas en 1981, a parié sur Michel Rocard, avec qui il a noué une vieille complicité, pour la présidence de la République.

Sans doute s’imaginait-il un destin de premier ministre, voire plus. En 1981, après l’élection de François Mitterrand, il est nommé commissaire européen chargé du développement. Il dirige alors un corps de 600 fonctionnaires qui distribuent chaque année 2 milliards de dollars à quelque soixante pays du tiers-monde liés à la Communauté par la convention de Lomé, dont il conduira la renégociation.

Fin 1984, la Nouvelle-Calédonie est au bord de la guerre civile. L’autorité de l’Etat a pratiquement disparu en dehors de Nouméa. Les Kanak tiennent des centaines de barrages dans l’île. Il atterrit le 4 décembre sur le Caillou, paré du titre de haut commissaire, avec pour mission de rétablir l’ordre et de proposer un projet pour dénouer la crise. Le lendemain, c’est la tuerie de Hienghène : dix morts, dont les deux frères de Jean-Marie Tjibaou, le leader du FLNKS. La mission de paix semble impossible. Pourtant, dès la première rencontre, le respect et la confiance s’installent entre les deux hommes.

Le 7 janvier 1985, Edgard Pisani prononce son fameux discours sur la place des Cocotiers, à Nouméa, où, pour la première fois, il évoque l’indépendance-association. A peine quatre jours plus tard, tout est sur le point de s’effondrer après l’assassinat du fils d’un éleveur européen, Yves Tual, dont les Mélanésiens sont accusés, et le lendemain la mort d’Eloi Machoro et de Marcel Nonnaro, deux leaders kanak abattus par les tireurs du GIGN. L’état d’urgence est déclaré. L’île est sur le pied de guerre.

Pourtant, Edgard Pisani refuse de se résigner au pire. Il raconte : « Il me fallait l’accord des Kanaks et j’ai engagé des négociations avec Jean-Marie Tjibaou. Il m’invite alors dans sa tribu de Hienghène, où on déjeune à trois à table devant 60 à 70 personnes assises par terre. Tjibaou voulait une discussion en présence des siens. L’échange terminé, il me demande de le suivre. Il marche devant moi, silencieux, pendant une dizaine de minutes puis s’arrête devant un énorme séquoia. Sans se retourner, presque au garde-à-vous, la tête inclinée, il me dit : “Devant mes ancêtres, je vous réponds oui.” Puis, sans un mot de plus, nous retournons vers le présent. »

De retour à Paris, quatre mois après le début de sa mission, il propose à François Mitterrand un projet de régime transitoire jusqu’à l’organisation, au plus tard le 31 décembre 1987, d’un scrutin d’autodétermination. « C’est le temps qui est donné à tous les Calédoniens pour réinventer une manière de vivre ensemble mais autrement », défend-il. L’accord est cependant fragile, menacé par de nouvelles violences. Lui-même, à force de raideur, de gaffes et de négligences, a focalisé la vindicte des métropolitains sans convaincre les indépendantistes. Il est lâché par le premier ministre, Laurent Fabius. Sa nomination au poste de ministre chargé de la Nouvelle-Calédonie ressemble à une promotion-sanction.

Une fin de carrière sans gloire

Les élections régionales de l’automne 1985 donnent une majorité aux anti-indépendantistes mais montrent que les Kanak votent à 80 % indépendantistes. Avant de lâcher son poste ministériel, Edgard Pisani prépare huit ordonnances publiées au Journal officiel du 15 novembre 1985, qui organisent l’avenir du territoire. Quand il quitte le ministère, malgré toute l’hostilité qu’il a concentrée contre lui, le bilan n’est pas mince, tant par l’ampleur des réformes prises sous son impulsion que par leurs effets sur le terrain. L’équilibre entre les communautés est précaire mais de réelles avancées ont été conduites. Edgard Pisani laisse une empreinte forte dans l’écheveau calédonien.

Sa dernière mission publique, il la mènera, à partir de 1988, à la présidence de l’Institut du monde arabe. Sept ans après le début de son mandat à la tête de l’institution, il est prié par le nouveau président de la République, Jacques Chirac, de quitter son poste un peu plus de quatre mois avant l’expiration de son mandat, sur fond de scandale financier et de projets non aboutis. Sa gestion de l’IMA est vivement critiquée et, malgré sa fine connaissance du monde arabe, ses relations avec les pays arabes partenaires de l’IMA ont fini par s’envenimer.

C’est une fin de carrière sans gloire pour celui qui se définissait comme « un mystique agnostique », un solitaire et un homme épris « de pouvoir, de notoriété, de service », qui savourait « le goût enivrant de l’acte d’autorité », comme il l’a écrit dans ses Mémoires : Persiste et signe (Odile Jacob, 1992). Tout au long de sa vie politique, ce grand serviteur de l’Etat et du « bien commun » aura fait preuve d’une indépendance viscérale ainsi que d’une allergie foncière aux conventions, d’une vraie radicalité dans le domaine des idées comme dans celui des attitudes. « Je ne me suis jamais renié », assurait-il alors qu’il s’était retiré des affaires, affichant toujours la même raideur et la même aversion de la tiédeur. Tout à l’image du personnage.