Vote de la loi « Patrimoine » et vente de GRIGNON au QATAR: incohérence ou hypocrisie ?

Comment l’Etat peut-il, dans le même temps, afficher sa volonté de préserver notre Patrimoine au travers d’une grande loi adoptée fin juin par le Parlement, et orchestrer la vente au QATAR du domaine de GRIGNON ? Pourquoi rendre les «domaines nationaux» «inaliénables et imprescriptibles» si c’est pour aussitôt brader un patrimoine présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation ?

thiverval-grignon-20130421-02240

 

Le 8 juillet 2015, le Premier Ministre, exprimant la volonté du Président de la République, déposait sur le bureau de l’Assemblée Nationale un projet de loi « relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine ».

Dans le très bel exposé des motifs du texte, on pouvait lire :

« La culture fait la richesse de la France et constitue le creuset de l’identité républicaine. Elle rend possible l’émancipation individuelle et la citoyenneté. Facteur de cohésion sociale, de transmission, de partage et d’innovation, la culture contribue au projet de notre République en rendant les Français plus libres, plus égaux, plus fraternels.

Alors que notre pays et notre continent traversent une crise de sens, nous avons plus que jamais besoin de réaffirmer notre attachement à la préservation du patrimoine »

L’article 20 du projet de loi proposait la traduction législative de cette vibrante déclaration d’amour pour le patrimoine français avec l’insertion dans le Code du Patrimoine d’une protection renforcée des «domaines nationaux », définis comme étant « des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation et dont l’État est, au moins pour partie, propriétaire ».

Ces « domaines nationaux » le Premier Ministre demandait au Parlement de les déclarer désormais «inaliénables et imprescriptibles » afin de garantir « l’intangibilité foncière, historique et paysagère de ces domaines, héritage du peuple français depuis des siècles ».

C’est pourtant au cours du même été 2015 qu’une folle rumeur commençait à se répandre : l’Etat s’apprêtait à vendre au club de football du Paris Saint Germain le domaine de GRIGNON, près de VERSAILLES.

Rumeur folle pour un projet délirant !

La FRANCE, disait-on, était sur le point de céder au PSG (ou plutôt à son propriétaire la société QATAR INVESTMENT AUTHORITY) ce patrimoine naturel, historique et scientifique d’exception, pour le transformer en immense centre d’entrainement et de formation sportif !

GRIGNON, berceau de l’agronomie française depuis 1826, ses 300 hectares clos de murs protégeant une zone naturelle classée en ZNIEFF (zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique), ses sites géologiques mondialement connus, son château Louis XIII inscrit à l’inventaire des bâtiments historiques, sa halle classée due à l’architecte POLONCEAU, ses laboratoires de pointe … tout cela, vendu à un club de football ?

Pourquoi ?

Pour qu’au sein de ce précieux domaine où se mêlent harmonieusement bâtiments historiques et paysages bucoliques, l’acquéreur apporte sa touche « personnelle » en y construisant 12 à 18 terrains de football, des salles d’entrainement, un complexe hôtelier, un centre de remise en forme, une académie de formation et même …. un stade !!

Pour beaucoup, la rumeur relevait du mauvais gag.

Comment pouvait-il en être autrement ?

Comment en effet le Premier Ministre, en charge du dossier de la vente, aurait-il pu d’une main commettre un tel sacrilège tandis que de l’autre, il écrivait son projet de loi visant à assurer l’inaliénabilité et l’imprescriptibilité des « domaines nationaux », ces patrimoines entretenant un « lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation » ?

Un scandale chasse l’autre

Depuis lors, l’eau a coulé dans le vallon de GALLY, dont le rû du même nom traverse le domaine de GRIGNON.

Et le Premier Ministre a continué à agir, en usant de ses deux mains.

Avec la première, il a défendu son projet de loi « Patrimoine » qui, définitivement adopté par le Parlement à la fin du mois de juin dernier, est devenue une loi qui sera promulguée dans les prochains jours par le Président de la République.

Elle crée un très bel article L 621-34 du Code du Patrimoine ainsi conçu :

« Les domaines nationaux sont des ensembles immobiliers présentant un lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation et dont l’État est, au moins pour partie, propriétaire.

Ces biens ont vocation à être conservés et restaurés par l’État dans le respect de leur caractère historique, artistique, paysager et écologique. »

Avec sa seconde main, le Premier Ministre a poursuivi le projet de vente du domaine de GRIGNON.

Non plus au PSG semble-t-il, en raison de l’opposition massive suscitée par cette perspective scandaleuse, fédérée par le Collectif pour le Futur du Site de GRIGNON et concrétisée dans une pétition ayant réuni plus de 26.000 signatures.

Mais au QATAR …

Un scandale a ainsi chassé l’autre. Car outre le fait que livrer GRIGNON au QATAR, propriétaire du PSG, reviendrait à faire rentrer par la fenêtre du château, le péril que l’on avait chassé par la grille, cette vente exposerait le domaine à bien d’autres dangers encore.

GRIGNON livré au QATAR ne sera plus GRIGNON. Il deviendra le champ clos du bon plaisir de son nouveau propriétaire, qui le transformera, l’utilisera puis le cédera à sa guise, comme il le fait toujours partout où il « rachète », et où, comme par enchantement, s’évaporent pour lui les contraintes administratives.

GRIGNON vendu au QATAR sera demain ce qu’a été hier la Faisanderie du Roi Fahd d’ARABIE SAOUDITE, autre site historique de la Plaine de VERSAILLES, abandonné au bon vouloir d’un riche « ami » .

GRIGNON entretien des liens exceptionnels avec l’histoire de la Nation

Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, nous avions cru comprendre en lisant votre loi sur le patrimoine que devaient être désormais inaliénables et imprescriptibles les patrimoines entretenant un « lien exceptionnel avec l’histoire de la Nation » ?

Nous serions-nous trompés ?

Ou nous avez-vous trompés ?

Car vous ne pouvez ignorer que les liens de GRIGNON avec l’histoire de la Nation sont à la fois exceptionnels et multiples.

Liens tissés par les grands noms qui marquèrent son épopée, de François Ier et Diane de POITIERS au Général de GAULLE, en passant par Louis XIII, Napoléon Ier et Raymond POINCARE.

Liens tissés par la science, dont GRIGNON est depuis près de 300 ans le creuset bouillonnant. Depuis les premiers travaux de CUVIER dans la Falunière au 18ème siècle jusqu’aux plus récentes expérimentations menées par l’INRA sur l’enrichissement des sols ou les puits de carbone, GRIGNON s’est imposé comme un site unique, mettant son exceptionnel patrimoine naturel, géologique et agronomique au service de la recherche et de l’innovation agro-écologique.

Liens tissés par la mémoire enfin. Celle des enseignants et des élèves de l’Ecole d’Agronomie tombés au Champ d’Honneur des guerres mondiales et dont deux monuments aux morts rappellent le souvenir. Celle des rescapés de la Grande Guerre, accueillis à « l’Ecole nationale d’agriculture de GRIGNON » transformée en 1917 en centre de rééducation professionnelle pour les soldats blessés. Celle des résistants établis à GRIGNON, parmi lesquels la princesse Noor INAYAT KHAN, héroïne de la lutte contre les nazis, qui maintint le contact radiotélégraphique avec LONDRES depuis la serre de l’école.

Au nom de tous ces liens, de toutes ces mémoires, qui font de GRIGNON un « domaine national » unique, entretenant des « liens exceptionnels avec l’histoire de la Nation », ce domaine ne doit être vendu ni au PSG ni au QATAR.

GRIGNON ne doit devenir ni un centre d’entrainement pour footballer, ni un parc d’attraction pour supporters, ni un « Relais et Châteaux » privé du QATAR, pour dieux du stade en mal de fêtes « royales ».

Ce bien commun d’exception doit rester dédié à la recherche, à la culture scientifique et au service des citoyens.

Il possède tous les atouts pour relever les défis agricoles et environnementaux sur lesquels la FRANCE s’est engagée au travers des accords de PARIS sur le climat, au terme de la COP21.

Ce site historique de la recherche agronomique peut et doit devenir l’écrin pour l’excellence scientifique au service de la recherche agronomique, écologique et climatique.

C’est pourquoi Monsieur le Président de la République, Monsieur le Premier Ministre, au nom de cet « attachement à la préservation de notre patrimoine » si noblement défendu dans votre projet devenu loi, le patrimoine exceptionnel de GRIGNON ne doit pas être vendu au QATAR !