La Journée du Patrimoine

 Une sortie engagée pour les journées européennes du patrimoine

« […] Le patrimoine est à la fois un symbole de la citoyenneté française et un lieu où elle peut trouver à s’exercer et à se renforcer. La pleine appropriation du patrimoine renforce le lien social […] » Audrey Azoulay, Ministère de la culture et de la Communication.

C’est à Grignon que nous allons exercer notre citoyenneté aujourd’hui à l’occasion de la 33ème édition des journées européennes du patrimoine. Une journée particulière étant donné que l’état s’apprête à vendre dans une opacité totale le domaine de Grignon (Yvelines) abritant un des centres d’AgroParisTech et de l’INRA. Grâce à la mobilisation du collectif pour le futur du site de Grignon, il a échappé de peu à un rachat par le PSG et a ainsi évité  d’être détruit en devenant un centre d’entrainement de pointe pour footballeurs. Loin d’être sauf, le domaine suscite toujours les convoitises du Qatar et on ne peut que s’inquiéter du sort que va lui réserver l’Etat étant donné le peu de considération qu’il a montré jusqu’ici  envers ce que certains qualifient aujourd’hui de fleuron de l’agronomie française.

Pour nous y rendre, nous prenons la ligne N à Montparnasse. Trente minutes et un arrêt de bus plus tard, nous voilà à l’entrée du centre de Grignon.

Sur place on demande où se trouvent les plus jolis coins de nature dans le domaine pour prendre des photos mais on nous répond que c’est quelque chose qui n’est pas sensé être révélé aux visiteurs. Difficile de s’approprier le patrimoine avec de telles barrières. Peur que nous soyons effrayés à la vue d’un chevreuil ? Que nous cueillions toutes les morilles ?  À moins qu’on ne veuille nous éviter d’être séduits par la richesse du paysage, présumant que nous remettrions alors en question une telle vente…Nous comprenons que l’état ait besoin d’argent pour financer sa nouvelle Superuniversité à Saclay mais à quel prix ?

C’est un peu le risque que de telles idées traversent l’esprit des visiteurs et c’est encore plus flagrant quand on découvre la Falunière. C’est un site paléontologique mondialement connu et sans équivalent. On apprend lors de la visite  que  c’est ce qu’on appelle un « hotspot » de biodiversité. Pas moins de 800 espèces de coquillages y ont été retrouvées (on nous indique à titre de comparaison que les côtes atlantiques françaises en abritent actuellement entre 300 et 350 espèces). Il est également riche de par la conservation exceptionnelle de ses fossiles. Sur le plan de la recherche, cela se traduit par un intérêt majeur dans la compréhension des mécanismes d’évolution et de déclin de la biodiversité devenus une grande préoccupation depuis quelques années.

Il y a des personnes qui minimisent l’intérêt de la Falunière estimant qu’elle n’est plus exploitée, mais est ce qu’on verrait s’installer des terrains de football sur des sites paléontologiques au Qatar ? Rien n’est moins sûr.  Parce que ce genre de sites ne sont pas infinis, que c’est tout ce qu’auront les générations à venir  pour témoigner de nos découvertes, qu’ils servent de support à l’enseignement et qu’ils sont marqués par l’Histoire. On ne veut pas dire à nos enfants qu’un jour Lamark a mené des recherches géologiques qui ont pu inspirer sa théorie de l’évolution, là-bas derrière les murs de cette propriété devenue privée ; on voudrait leur dire que c’est arrivé ici et les voir ramasser des coquillages dans le bois et s’émerveiller quand on leur explique qu’avant c’était la mer.

Cette journée a également été l’occasion de visiter la ferme expérimentale. Les enfants ont pu observer la traite et les animaux. Les parents ont profité d’une visite de deux heures avec Dominique Tristan, directeur de la ferme, qui a présenté le programme Grignon Energie Positive.

Depuis 2006, la ferme s’emploie par le biais de la recherche appliquée à  fournir des solutions pour réduire l’impact des activités agricoles sur l’environnement. Le programme fait ses preuves et est encensé par le Ministère de l’Agriculture. Il a été cité en exemple lors de la COP21. Mais alors pourquoi s’appliquer à y mettre des bâtons dans les roues ? Avec la vente du domaine, c’est 129 hectares sur les 350 qu’elle exploite que pourrait perdre la ferme qui a déjà dû affronter le retrait de parcelles exploitées à Palaiseau entre 2010 et 2012. Il n’a pas été chiffré mais il semble évident que l’impact d’une nouvelle perte ne serait pas anodin.

La ferme c’est aussi vingt-cinq salariés qui œuvrent chaque jour pour offrir des produits de grande qualité transformés sur place. Les plus gourmands d’entre nous se sont laissés tenter par un détour par la boutique pour goûter le plaisir de consommer local. Un dernier clin d’œil aux vaches pour les remercier et retour au château.

(Pour les curieux, sachez que des visites libres et gratuites ainsi que des animations sont organisées pour le plus grand plaisir des petits et des grands. Si vous êtes des gourmands pressés, vous pouvez retrouver les produits de la ferme dans certains points de vente et depuis peu en grande distribution.)

Dans le château, on survole l’histoire du domaine. Depuis les grands noms qui ont marqués son histoire (Pomponne de Bellièvre, le maréchal Ney, Napoléon, Charles X…) à la création de l’Institut National Agronomique (avec ses brillants élèves et figures de l’écologie dont René Dumont et Jacques Diouf). En abordant le réseau de résistance Prosper, ses acteurs et les diverses plaques commémoratives qui les célèbrent, on découvre le château et le parc classés monuments historiques. Une question est sur les lèvres de tous les visiteurs, comment protéger ces trésors ?

Nous avons encore un peu de temps pour assister à une conférence sur les oiseaux à Grignon. On se divertit, on découvre les chants, la migration, la reproduction, on pose des questions. La visite s’achève bientôt, un dernier petit tour pour voir les expositions est l’occasion de parler du musée du vivant. Unique en son genre, il s’intéresse à l’histoire longue de l’écologie (depuis la fin du XVIIIème siècle à la période actuelle), qu’il illustre sous divers aspects (scientifique, culturel, politique, vie quotidienne…) avec des collections s’adressant à tous ! Maquettes, planches dédiées à l’enseignement, photographies, films, cartes postales, affiches, œuvre d’art…et pour ne citer que quelques noms, Michel Granger, Cabu, René Dumont, Speedy Graphito…

Le musé n’ayant pas de surface d’exposition permanente, il organise des expositions itinérantes, virtuelles, clef en main… La question de maintenir les collections à Grignon et de leur offrir le musée qu’elles méritent en séduit plus d’un.

À dix-huit heures, nous devons partir. Nous n’avons même pas eu le temps d’assister à la visite guidée de l’arboretum, ni à celle des parcelles Dehérain cultivées sans engrais depuis 180 ans, ni même le loisir de voir les collections de fossiles et de minéraux, d’aborder le patrimoine paysager et architectural… Il reste beaucoup de choses à voir. Peut-être les verrons-nous l’an prochain, si l’Etat ne dilapide pas ce patrimoine qu’il consent encore à nous faire partager. Nous pouvons remercier les  organisateurs qui se sont battus pour obtenir que cette journée ait lieu.

« Les associations de défense du patrimoine jouent aussi un rôle majeur dans le domaine patrimonial, rôle d’alerte sur les menaces pesant sur certains bâtiments, de repérage de biens justifiant une protection officielle, de dénonciation d’atteintes portées aux biens culturels. […] La nature et les paysages sont plus que jamais des motifs d’expression de citoyenneté pour ceux qui, de plus en plus nombreux, s’engagent en faveur de la préservation de l’environnement […]. »  Argumentaire du ministère de la culture et de la communication, le 24 Juin 2015.

La consigne était qu’il n’y ait pas de journalistes à Grignon alors nous espérons avoir malgré tout réussi à notre niveau, citoyens, à rendre compte de la richesse du domaine, des menaces qui pèsent dessus et des atteintes qui risquent d’y être portées. Nous espérons que l’Etat ne se moque pas de notre Histoire, de notre environnement, de la science et de sa transmission. Nous espérons qu’il choisira de valoriser notre patrimoine plutôt que de le marchander.

Si vous voulez exprimer votre opposition à la vente de notre patrimoine, vous pouvez signer la pétition lancée par le collectif pour le futur du site de Grignon. Sachez que ses membres préparent un projet pour trouver une alternative à la vente. Avec le potentiel dont dispose le domaine et les équipements qu’on y trouve (résidence étudiante, laboratoires, salles de cours, restaurant…), il est aisé d’imaginer qu’il y ait pour le site bien des missions plus nobles que de satisfaire un particulier et les finances de l’Etat.

Marie Atek