Le super-préfet aux champs (de GRIGNON)

Les archives de GRIGNON regorgent de trésors. On vient en effet d’y exhumer une version inédite des « Lettres de mon moulin » d’Alphonse DAUDET comportant une variante ignorée du fameux « Sous-préfet aux champs ». Son héros, bien plus haut placé dans la hiérarchie administrative que son subordonné provençal, ne se rend pas à LA COMBES-AUX-FEES mais à GRIGNON, qu’il a reçu pour mission de vendre …

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Les archives de GRIGNON regorgent de trésors.

On vient en effet d’y exhumer une version inédite des « Lettres de mon moulin » d’Alphonse DAUDET. Passionnante découverte qui comporte une variante ignorée du fameux « Sous-préfet aux champs », mettant en scène un personnage bien plus haut placé dans la hiérarchie administrative, mais auquel survient une aventure voisine de celle vécue par son subordonné provençal. Ce super-préfet ne se rend pas à LA COMBES-AUX-FEES mais à GRIGNON, qu’il a reçu pour mission de vendre. A n’importe qui, mais « le plus cher possible »  … Jusqu’au jour où …

En voici, révélé pour la première fois, le texte intégral.

« M. le super-préfet est en tournée. Cocher devant, laquais derrière, la calèche de la super-préfecture l’emporte majestueusement vers GRIGNON. Sur ses genoux repose une grande serviette en chagrin gaufré qu’il regarde tristement.

M. le super-préfet songe au discours qu’il va falloir prononcer tout à l’heure, mais il a beau tortiller sa moustache grise et répéter vingt fois de suite  « Messieurs et chers administrés… »,  la suite du discours ne vient pas.

Il est vrai que Monsieur le super-préfet a une rude tâche à accomplir. Il doit vendre GRIGNON. Au PSG ou au QATAR, il ne sait pas encore très bien mais vendre GRIGNON, ça il en sûr. « Le plus cher possible » a-t-il confié. Et il doit, ce pauvre super-préfet, devant l’assemblée de GRIGNON, expliquer cette vente scandaleuse. Impensable. Infamante. La justifier. La défendre.

Déjà, il entend les interpellations de ses administrés ! :

« Vendre GRIGNON au PSG ou au QATAR ? Mais où avez-vous la tête Monsieur le super-préfet ? GRIGNON est un écrin naturel, un écosystème fragile, un lieu d’histoire et de science, de mémoire et de culture ! On ne peut le transformer en terrain de football géant ou en Carlton pour footballers ! ».

M. le super-préfet est à la peine. Il a beau aimer le PSG et aimer le QATAR, il n’en est pas moins conscient de la faute qu’il est en train de commettre. Et la suite du discours ne vient pas…

Il fait si chaud dans cette calèche !…

Tout à coup M. le super-préfet tressaille. Là-bas, au pied d’un coteau, il vient d’apercevoir un vallon verdoyant qui semble lui faire signe. C’est le vallon de GRIGNON, celui que M. le super-préfet voudrait vendre, mais qu’il n’a jamais vu.

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M. le super-préfet est séduit ; il saute à bas de sa calèche et dit à ses gens de l’attendre, qu’il va composer son discours dans le vallon verdoyant où des oiseaux chantent et où un petit ruisseau serpente entre deux rives d’herbe fine et des bancs de violette…

Quand ils ont aperçu M. le super-préfet avec sa belle culotte et sa serviette en chagrin gaufré, les oiseaux ont eu peur et se sont arrêtés de chanter, le ruisseau, que l’on nomme le rû de GALLY, n’a plus osé faire de bruit, et les violettes se sont cachées dans le gazon… Tout ce petit monde-là n’a jamais vu de super-préfet, et se demande à voix basse quel est ce beau seigneur qui se promène en culotte d’argent.

M. le super-préfet, ravi du silence et de la fraîcheur du bois, relève les pans de son habit, pose son claque sur l’herbe et s’assied dans la mousse au pied d’un jeune chêne ; puis il ouvre sur ses genoux sa grande serviette de chagrin gaufré et en tire une large feuille de papier ministre.

Cependant, du haut d’un chêne centenaire, un vieux rossignol qui a chanté toute une saison dans les jardins de la super-préfecture, reconnait l’intrus et aussitôt rassure les habitants du vallon :

– Un super-préfet, ça a peut-être l’air méchant et ça peut parfois avoir de vilaines idées. Comme celle de vendre nos bois et nos près au PSG ou au QATAR, et de nous envoyer chanter ailleurs. Pour laisser la place à des vols de balles rondes et à des bouillonnements de fausses rivières ! Mais ça n’est pas foncièrement mauvais. Ça a même peut-être un cœur ! Alors, qui sait, notre chant pourrait peut-être chasser ses vilaines idées ?

Et sur cette assurance, les oiseaux se remettent à chanter, le ruisseau à courir, comme si le monsieur n’était pas là…  Les petites violettes se remettent à embaumer et se haussent vers lui sur le bout de leurs tiges, en lui disant doucement :

– Monsieur le super-préfet, sentez-vous comme nous sentons bon ?

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Et le ruisseau lui fait, sous la mousse une musique divine ; et dans les branches, au-dessus de sa tête, des tas de fauvettes viennent lui chanter leurs plus jolis airs ; et tout le petit bois conspire pour l’empêcher de composer son discours.

M. le super-préfet, grisé de parfums, ivre de musique, essaye vainement de résister au nouveau charme qui l’envahit. Il s’accoude sur l’herbe, dégrafe son bel habit, balbutie encore deux ou trois fois :

– Messieurs et chers administrés… Messieurs et chers admi… Messieurs et chers…

Puis il envoie les administrés au diable ; et le PSG, et le QATAR, et le gouvernement qui lui demande de vendre le plus cher possible.

Lorsque, au bout d’une heure, les gens de la super-préfecture, inquiets de leur maître, sont entrés dans le petit bois, ils ont vu un spectacle qui les a fait reculer d’horreur… M. le super-préfet était couché sur le ventre, dans l’herbe, débraillé comme un bohème. Il avait mis son habit bas ; … et, tout en mâchonnant des violettes, M. le super-préfet faisait des vers.

Dans un quatrain malhabile mais touchant, il demandait pardon à GRIGNON d’avoir été si imprudent, si léger, si inconscient, en voulant vendre le plus cher possible un bien commun d’exception dont il s’est aperçu in extremis … qu’il n’avait pas de prix !

Texte inédit retrouvé dans les archives secrètes de GRIGNON par Le Collectif pour le Futur du Site de GRIGNON