A GRIGNON, l’Etat menace la recherche moderne!

Vendredi dernier, Didier MERLE, docteur en paléontologie et maître de conférences au département d’histoire de la terre du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) de PARIS, évoquait les richesses fossilifères exceptionnelles de GRIGNON (78), menacées par la vente de ce superbe domaine au PSG et au QATAR. Il évoque aujourd’hui le grave péril que cette vente fait peser sur la recherche moderne.

Grignon, un patrimoine inestimable à protéger pour les recherches en cours et à venir

Professeur Didier MERLE Professeur Didier MERLE

 

Grignon et la recherche moderne : des découvertes formidables attendent encore

Connu et fouillé depuis deux siècles et demi, ce site n’a cependant jamais été exploité avec toute la rigueur que requiert un tel potentiel d’informations. En effet, l’arrêt des recherches de terrain sur la macrofaune correspond à une phase de maturité de l’inventaire, qui est devenu quasi-exhaustif. Mais si la composition de la faune est bien connue dans son ensemble, sa distribution à haute résolution couche par couche ne l’est pas, et l’analyse quantitative et taphonomique de cette distribution reste à faire. Ces techniques d’études des assemblages des fossiles sont modernes et ne pouvaient pas être appliquées par les anciens qui ont porté leur effort sur l’inventaire. C’est pourquoi en 2006, un projet de recherche fondé sur des travaux de terrain a été entrepris par le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris pour permettre d’appliquer à l’un des sites paléontologiques les plus riches au monde, les concepts, les techniques et les méthodes d’études les plus récentes. Dans cet article, quelques résultats issus de travaux récents sont rapidement présentés pour illustrer ces recherches.

a)      A la recherche des patrons de coloration résiduels : la thèse de Bruno Caze

Fig. 1– Lot de Sigmesalia multisulcata (Lamarck, 1804) de Grignon photographié sous lumière UV, montrant l’abondance de spécimens montrant un patron de coloration.

Plusieurs mémoires de masters (Thiviaou 2009, Lemeur 2009), mais surtout un mémoire de thèse (Caze 2010) ont largement utilisé le matériel de Grignon comme matériel de base pour l’étude des patrons de colorations résiduels.

b) Grignon et l’évolution du climat au Lutétien

Quelle est l’influence du climat sur la paléobiodiversité ? Grâce à la bonne préservation des fossiles et de la coupe de Grignon, des études se sont concentrées sur l’analyse à haute résolution des variations climatiques pendant le Lutétien Moyen. Une question importante pour comprendre l’exceptionnelle richesse en faune du Lutétien et de Grignon est celle de son contexte paléoclimatique.

c) Mieux comprendre la paléobiodiversité

Grignon représente une fenêtre sur une biodiversité unique encore loin d’être connue. Il suscite différentes interrogations telles que : comment les « hotspots » de la biodiversité se sont formées, comment s’érodent-ils au cours du temps, ou encore quels facteurs font que Grignon est aussi riche ? A l’aube de la sixième crise, ces interrog           ations nous intéressent au plus haut point.

d) Vieilles seiches et vieux calamars : une dernière découverte

Au moment où cet article est en cours de réaction (mai 2016), les plus anciens restes de Sepia (seiche) et de Loligo (calamar) viennent d’être découverts et ils proviennent du gisement de Grignon [ …]. Ce résultat montre qu’après 250 ans d’inventaire on peut encore découvrir de nouvelles espèces. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la micropaléontologie comme l’illustre ces spectaculaire nouveautés.

Des découvertes formidables attendent encore…

Comment les « hotspots » de la biodiversité se sont formées et comment ils s’érodent au cours du temps ? Cette question d’actualité nous intéresse au plus au point à l’aube de la sixième crise. La fenêtre de Grignon apportera une dimension temporelle à cette question brulante en continuant d’appliquer les techniques d’analyses modernes pour étudier les processus et les modalités paléoécologiques présidant à la distribution dans des espèces dans les couches.

Recherches en cours

Les recherches en prévision ne s’appuient pas sur du matériel ancien dont la localisation est souvent trop imprécise, au regard des canons de résolution actuels. Elles nécessitent impérativement de vastes opérations de fouilles pour étudier les relations Biodiversité-Stratigraphie-Sédimentologie-Climat. Une perte du terrain stopperait donc net toutes ces investigations scientifiques.

Par ailleurs, à la suite d’un Programme Plan-Pluri-Formation qui a permis l’aménagement du site : une équipe internationale s’est constituée pour l’étude du site. Ses objectifs concernent à trois ans l’étude des assemblages de macrofaunes et l’enregistrement modifications climatiques à haute résolution. Elle comprend des chercheurs du MNHN, de l’Université de Paris 6, de Biogéosciences Dijon, l’University of Vienna, du Museo di Storia Naturale di Firenze et du Royal Belgian Institute of natural Science. L’étude du site est aussi prévue dans un projet d’ANR impliquant le LSCE Versailles, Biogéosciences Dijon, MNHN, UPMC (LECOB) and GET Toulouse. De plus, un projet, Synchroton (Soleil) est aussi en cours. Il vise à découvrir les pigments résiduels des coquilles et implique aussi des prélèvements sur le site.

La Falunière de GRIGNON La Falunière de GRIGNON

 

Grignon, site exceptionnel à plus d’un titre

L’intérêt scientifique du gisement de Grignon peut se décliner en quatre catégories d’intérêt montrant qu’il sort de la norme. L’absence d’équivalent illustre sa valeur mondiale et, associée à sa gloire passée, en fait aussi un bien culturel pour l’humanité. Sa perte engagerait la responsabilité internationale de la France, vis à vis d’un site d’exception qu’elle est sensée préserver. Le 5ème international Paleontological Congress qui rassemblera plus 1200 paléontologues du monde entier en 2018 se déroulera à Paris. Quel crédit la France aurait-elle quand on annoncera aux collègues étrangers que la visite du site est impossible, car nos pouvoirs publics n’ont pas daigné empêcher la destruction de site ?

Education scientifique

Le site de Grignon permet d’enseigner différents facettes des sciences de la Vie et de la Terre. Cet enseignement peut être prodigué aussi bien à un public scolaire qu’universitaire. Les deux points d’accroche sont la stratigraphie et la paléontologie. Grignon est actuellement le seul site avec celui de la Ferme de l’Orme (commune de Beynes) qui fait l’objet d’un stage terrain (depuis 2007) en région parisienne dans le parcours des Master 1 de l’UPMC et du MNHN. Outre il contribue aussi à la formation par la recherche dispensée aux étudiants de Master 1 et 2 (Master SEP (UPMC/MNHN) et Master de l’ISTEP (UMPC) à Paris, Master de Dijon (Biogéosciences)). Sur les dix dernières années, sept mémoires de master et deux thèses, dont une encore en cours, concernent sur le site de Grignon.

Référence internationale

La renommée internationale du site se traduit : 1°) en termes de visite lors de congrès, 2°) en termes de collections et 3°) en termes de publications, vecteur majeur de la diffusion des connaissances à la communauté mondiale des géologues et des paléontologues.

Collections

Des collections de matériel issues du site de Grignon sont conservées dans tous les grands musées du monde, dont le Natural History Museum à Londres, la Smithsonian Institution à Washington, le National Museum of Natural History à Leiden, le Musée royal des sciences naturelles à Bruxelles et le Muséum d’histoire naturelle de Genève. Par ailleurs, il est important de souligner que de nombreuses espèces fossiles y ont été décrites et qu’il en résulte un grand nombre de types et figurés conservés au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, à l’Université de Lyon et au Muséum d’histoire naturelle de Genève.

Travaux sur Grignon

Le volume de publications concernant Grignon est imposant puisque l’on dénombre plus de 165 références sur une durée de deux siècles et demi ; la plus ancienne date de 1753 ! Si les publications faites par des français dominent naturellement, il faut noter des publications d’auteurs étrangers d’origine américaine, suédoise, italienne, autrichienne, suisse et tchèque. Par ailleurs, si les publications des anciens auteurs sont incontournables dans la littérature scientifique, beaucoup de travaux récents ont été publiés dans des revues à audience internationale.